PENSÉES
L'AMOUR
CONSCIENT
Le mobile de l'amour
conscient, dans
son état évolué, est le désir que
l'objet aimé arrive à ses propres perfections innées sans égard aux
conséquences possibles pour l'amant.
Pourvu
qu'elle devienne parfaitement elle-même, moi je ne compte pas dit
l'amant conscient. J'irais en enfer si seulement elle pouvait
aller au paradis.
Et le paradoxe d'un tel amour est qu'il évoque
nécessairement le même en retour.
L'amour conscient engendre l'amour conscient.
Pourquoi le phénomène est-il si rare parmi les hommes? La première
raison est que la grande majorité d'entre eux ne sont que des enfants
désireux d'êtres aimés, mais non pas d'aimer.
La seconde est que la
perfection est rarement envisagée comme la fin propre de l'amour
adulte, bien que rien d'autre ne le puisse élever au-dessus de ces
niveaux puérils ou animaux.
La troisième est que l'homme ne sait pas,
même quand il est plein du désir d'aimer, ce qui peut être le bien de
l'objet qu'il aime ; et la quatrième enfin est qu'un amour conscient
n'arrive jamais par hasard. Il doit être l'objet d'un choix conscient
et d'une ferme résolution de s'efforcer.
De même que le Bushido et les autres ordres de chevalerie ne sont pas
apparus accidentellement, de même un amour conscient ne peut pas
apparaître et se développer tout seul. Toutes les noblesses furent des
oeuvres d'art et un amour conscient aussi doit être une oeuvre d'art.
Que celui qui désire s'enrôler commence donc par faire son
apprentissage ! Et peut-être un jour atteindra-t-il à la maîtrise.
Qu'il travaille avant tout à purifier son désir d'aimer, car il devra
abjurer tout désir personnel, tous préjugés.
Il contemple le visage aimé. " Quelle sorte de femme est-elle ? " Un
mystère est ici : une piste de perfection s'entrouvre dont le parfum
naissant est adorable. Comment cette possibilité pourrait-elle être
réalisée pour la gloire de la bien-aimée et de Dieu son créateur ?
Nous devons ici nous demander : En serai-je capable ? Si je suis
sincère, je dois évidemment répondre : non.
Un homme qui ne sait pas
traiter convenablement ses chiens ou ses chevaux, une femme qui ne sait
pas cultiver des fleurs, comment pourraient-ils apprendre à révéler les
dormantes perfections encloses dans l'être aimé ?
Une humilité et une
tolérance à toute épreuve seront nécessaires. Si je ne suis pas certain
de ce qui peut être le mieux pour elle, je dois au moins la laisser
libre de suivre ses propres inclinaisons. Et, pendant ce temps,
j'étudierai ce qu'elle est et peut devenir, ce dont elle a besoin, ce
que son âme appelle sans savoir de quel nom l'appeler, bien éloigné de
pouvoir trouver la chose même.
Apprendre à prévoir pour elle dés
aujourd'hui ses besoins de demain, sans penser un instant à tout ce que
cela pourra représenter de peine pour moi.
Vous verrez, garçons et filles, quelle discipline et quelle maîtrise de
soi cela exige.
Entrez en ces bois enchantés, vous qui osez !
Les Dieux s'aiment les uns les autres consciemment. Et les amants
conscients deviennent des Dieux. "
Sans pudeur, des hommes se vanteront d'avoir aimé, d'aimer ou d'espérer
aimer. Comme si l'amour était assez pour couvrir la multitude de leurs
péchés. Mais l'amour, comme nous l'avons vu, lorsqu'il ne s'agit pas
d'un amour conscient, c'est-à-dire désireux de devenir à la fois sage
et capable de servir son objet, ne dépend que des affinités favorables
ou défavorables. Il a la chimie à sa base. Et, dans les deux cas, il
est également inconscient, c'est-à-dire sans contrôle.
Être dans un tel
état d'amour est donc certainement très dangereux pour soi-même ou pour
l'autre ou pour tous les deux.
Car nous sommes alors traversés par une
énergie cosmique qui poursuit ses propres fins totalement indifférents
aux nôtres, et nous voici chargés de cette force.
C'est une dynamite
que nous véhiculons désormais sans y prendre garde.
Faut-il s'étonner du nombre des accidents ? Reconnaissons donc que,
sans connaissance et sans puissance, l'amour est démoniaque.
Sans connaissance, il peut détruire son objet. Qui donc n'a entendu
telle " bien-aimée " dire de son " amant " : " Il me rend malade, il me
tue " ?
Et, sans puissance, l'amant doit devenir le plus malheureux des
êtres puisqu'il ne peut pas faire ce qu'il désire et ce qu'il sait
qu'il devrait faire pour son bien.
Les hommes devraient donc prier pour que leur soit épargnée
l'expérience de l'amour sans sagesse et sans force. Ou bien, s'ils ne
peuvent faire autrement que d'aimer, alors qu'ils prient la sagesse et
la force de guider leur amour !
En hommage à son
auteur
que
j'aimerai connaître!
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